Hé hé ! Je ne suis pas particulièrement farceuse pour le 1er avril mais comme il m’est arrivé d’avoir été piégée par mes élèves, j’ai dû improviser une terrible revanche….
Chapitre 1 : La maîtresse piégée
Un beau jour de 1er avril, fraîche et innocente jeune maîtresse, j’arrive à l’école, pensant que ce jour-ci n’aurait rien de bien particulier. Je ferai mes leçons, les élèves écouteront, nous travaillerons en bonne entente… la routine quoi ! Mais c’était sans compter sur mes CM2.
Naïvement, après une récré d’accueil assez calme (pour un 1er avril), je monte en classe avec eux, en confiance pour la journée. Moi qui m’attendais à avoir des poissons collés dans le dos, je suis presque déçue.
Je fais classe sans raz-de-marée. Visiblement, l’invasion de poissons n’est pas prévue pour cette année.
Mais au moment de la trace écrite sur le tableau blanc, je constate que tous mes feutres ont disparu. Bon, j’ai l’habitude de semer mes effets un peu partout dans la classe, ce n’est pas rare que je demande aux élèves si par hasard il n’y aurait pas sur leur table un stylo rouge ou la télécommande du TBI. Mais non, ces petites têtes blondes n’ont rien vu. Je cherche sous mon tas de copies, derrière l’ordinateur, dans mes cases à bazar, rien … Bon alors tant pis, je ferai la trace écrite sur le tableau à craie… Mais rebelote… pas de craie ! En revanche, tous mes feutres sont là. Quand ils voient mon incompréhension, ils se mettent à rire ! POISSON D’AVRIIIL !
Ah ok ! Vous voulez jouer à ça ! Vous ne savez pas sur qui vous êtes tombés les cocos.
Chapitre 2 : La revanche de la maîtresse
Arrive l’heure de la récré. J’ai improvisé un coup qui va les faire déchanter… ah ah ah (rire sardonique). De retour en classe, je prends mon air grave et légèrement contrarié:
« Bon, écoutez, j’ai discuté avec le directeur, nous avons eu des directives ministérielles. Monsieur le Ministre a constaté que le niveau en orthographe des élèves avait baissé. Il souhaite que tous les élèves de CM2 fasse une dictée dont le résultat figurera dans le dossier scolaire et comptera pour le passage en 6ème. Il faut faire moins de 5 fautes, sinon vous risquez de passer en commission pour un éventuel redoublement » (Voilà, on lui met tout sur le dos à celui-là !^^)
Là mes bons élèves s’exclament : « Boh mais ça va ! c’est pas difficile« .
Je prends mon air contrarié (plus y en a, plus ça passe): « Je ne suis franchement pas enthousiaste à l’idée de perdre du temps sur une dictée, parce qu’on est un peu en retard dans le programme, j’ai prévu pas mal de choses pour aujourd’hui, mais bon, on va la faire maintenant, vous serez débarrassés. Les CM1, vous allez également la faire, ça vous entraînera pour l’an prochain »
Et là, on détaille tout un protocole pour qu’ils n’aient pas l’ombre d’un doute qu’il s’agit d’une vengeance (mouah aha ha): « Prenez une feuille de classeur. A 2 carreaux de la marge, vous écrivez : « Dictée passerelle pour l’entrée en 6è – Ministère de l’Education Nationale« , vous soulignez en rouge. Vous sautez ensuite 2 lignes puis vous écrivez votre nom et prénom. Vous tracez un trait sur toute la largeur de la feuille. Dessous, nous ferons la dictée« . Gros silence dans la classe, je vous assure que j’ai cassé l’ambiance 1er avril. J’essaie de ne pas sourire devant leurs têtes sérieuses et (un tantinet) inquiètes.
« Vous y êtes ? Alors, écoutez bien, vous devrez sauter des lignes à chaque fois donc préparez vos points. Je vous lis la dictée en entier, n’écrivez rien et ensuite je la couperai pour que vous puissiez avoir le temps de noter. Comme une dictée normale quoi » (ben oui il faut les rassurer un peu !).
Voici la dictée:
ET LA C’EST LE DRAME ! La moitié n’a rien compris au texte, les autres se demandent déjà comment s’écrivent tel ou tel mot et les élèves les plus performants n’ont rien écouté et ont déjà commencé à noter sous la dictée.
« Bien, alors je vais vous dicter le texte pour de vrai. Pas de panique, le Ministre souhaite que nous fassions uniquement les 2 premiers paragraphes, jusqu’à « coreligionnaires ». Faites attention aux accords sujet-verbe, aux accords dans le GN (comme je disais on rassure !). C’est parti… »
Concentration maximale pendant la dictée. On fronce les sourcils, cette dictée ne veut rien dire, murmure-t-on sur ma droite, je comprends rien, soupire-t-on à ma gauche. Mais je reste impassible, c’est une dictée passerelle pour l’entrée en 6è…
« Bien nous allons corriger en VERT ! Faites disparaître tous les autres crayons. »
Ambiance studieuse dans la classe, mais au fur et à mesure que nous progressons dans la correction, les visages se décomposent. Je reste de marbre pour la dictée passerelle pour l’entrée en 6è.
« Bien maintenant que nous avons terminé de corriger, vous allez compter vos erreurs. Souvenez-vous, il en faut moins de 5. Alors? »
-j’en ai 15, soupire le premier
-moi 24, déplore le deuxième
-j’en ai fait 31, murmure le troisième
-moi j’en ai QUE 12, dit fièrement le quatrième…
« Bon et bien je vais ramasser vos copies et j’ajouterai vos résultats dans votre dossier »
Certains élèves sont un peu en panique. Plus personne ne dit mot. Fini le bourdonnement léger des gais bavardages. Bon, vais-je maintenir le poisson jusqu’à midi en sachant qu’il est 10H55 et que quelques uns parmi l’assistance sont au bord du malaise?
« Allez ne vous inquiétez pas ! C’est pas un poisson d’avril qui va vous faire redoubler ! »
Hein? La madame a dit poisson d’avril ? Ouuuuuf ! Alleluiah ils rient ! ils se détendent, ils se moquent d’eux-même.
« Oh maîtresse ! Ca se fait pas ! Tu t’es bien vengée là ! Nous on y a cru! »
« Dictée passerelle, n’importe quoi ! »
NB: En fonction du profil de votre classe, il ne faut pas hésiter à dire que c’est un poisson à tout moment. Cela doit rester drôle. Un peu de bon sens pour juger de la taille du poisson pour nos élèves. Pour ma part, j’avais une très bonne tête de classe, forte en orthographe, j’ai dû mettre le paquet.
Mais pour une classe qui est fâchée avec l’orthographe, on peut proposer à la place du redoublement, un stage de remise à niveau ou des APC jusqu’à la fin de l’année, même raccourcir la fausse dictée. S’ils y prennent vraiment trop au sérieux, on n’hésite pas à dire que c’est un poisson! Et avec la touche culturelle ci-dessous, vous allez voir qu’il y a de quoi rire et dédramatiser les fautes d’orthographe …
Chapitre 3: Un poisson d’avril culturel
Je leur ai expliqué d’où venait cette dictée (ben oui, un peu de culture pour le 1er avril, ça fait du bien)…
En fait cette dictée s’appelle la dictée de Mérimée. Pourquoi ? Parce qu’elle a été écrite par un écrivain du XIX siècle, Prosper Mérimée, à la demande de l’impératrice Eugénie. Et oui, contrairement à vous, à la cour, on adorait les dictées ! Mérimée a fait faire sa dictée à plusieurs personnes célèbres, dont Napoléon III, l’écrivain Alexandre Dumas fils et l’ambassadeur autrichien dont la langue maternelle n’est pas le français mais l’allemand. On raconte que Napoléon III a fait 75 erreurs, Alexandre Dumas fil 24 et l’ambassadeur seulement 3… »
PS: pour la petite anecdote, le soir après la classe je suis allée à la librairie où travaille la maman d’un élève de ma classe. Elle m’a dit : « Il était drôle votre poisson mais heureusement que vous leur avez dit tout de suite parce que mon fils commençait vraiment à stresser pour la 6è »^^
Voici le texte complet de la dictée de Mérimée:
Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient et quelqu’exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d’une phtisie.
– Par saint Martin, quelle hémorragie, s’écria ce bélître ! À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière.
(1857)
Génial ! L’idée me plaît énormément et je retiens cette dictée passerelle 👍🏻
Merci à toi et bon 1er avril à venir.